Levana Winnifred ☾ Always smiling

Au début, j'étais l'enfant souriante, joyeuse, sociable, aimable, prête à tout pour tout le monde.
Mais on m'a fait comprendre que la vie n'était pas telle qu'elle le paraissait, pleine de joies, de bonheur, de bonnes rencontres.

Mes amies se lassant de moi, je continuais à sourire, innocente, sans comprendre la raison de leur désintéressement.
Je gardais mon sourire, mais au fond je n'étais sûre de rien.
Et plus ma vie avançait, plus je m'enfonçais.
Je suis devenue photographe engagée. Mes émotions ont disparu. A quoi bon en avoir, pour cela ? On voit l'autre face du monde, ce côté crasseux, que les riches ignorent. Lorsqu'une famille avec qui j'ai sympathisé a été retrouvée morte, assassinée en même temps que des millions de personnes à cause d'un génocide, j'ai compris que s'attacher ne servait à rien.

Mais je n'arrivais pas à effacer mon sourire. Quand je pleure, je souris, malgré les larmes qui coulent ; quand je suis en colère, je souris, mais le regard dit tout ; quand je suis jalouse, je ris, pour me moquer des gens ; quand j'ai peur, je souris, mais je deviens pâle.
J'ai par contre perdu le réel sourire, celui que l'on a quand quelqu'un fait une blague, quand on vit un instant de bonheur. De tout de manière, rien ne me paraissait bonheur.

Puis, après ma transformation en vampire, les années ont passé et j'ai appris à être plus convaincante. Mon visage entier est devenu un masque, si bien qu'on ne se doute plus de rien. En outre, je parais ne rien ressentir.

Cependant, ce masque même pleurera un jour.

J'ai été une fille modèle, et j'étais l'enfant que tout le monde voulait avoir. C'est en prenant du recul que je m'en suis aperçue. Et c'est pour ça que j'ai mis du temps à comprendre pourquoi ça m'arrivait.

Mon enfance s'est déroulée sans souci. J'étais la fille drôle, miss parfaite, j'avais plein d'amis, et on blaguait toujours. On se rejoignait toujours lors de fêtes, que ce soit pour Pâques, la galette des rois, et Halloween, où l'on passait la soirée à visiter des maisons "hantées". Nous n'étions pas riche, je ne recevais pas beaucoup de cadeaux, mais j'avais largement assez, et je ne m'en plaignais pas. J'étais si proche avec mes amis. On vivait dans le même quartier, jouait dans le même parc, comme des frères et soeurs, si bien que nos parents étaient habitués à voir j'un chez l'autre, et l'autre chez l'un.

Puis, un jour, une amie m'a ignorée. Et elle est partie, sans mot dire.
Et deux.
Puis trois.
Tous partaient, me laissant dépassée.
Quand on était obligés de se parler, j'affichais toujours un sourire, mais eux ne se donnaient pas la peine de me le rendre.

De tout de manière, je gardais mon sourire et ma bonne humeur car ma mère prenait soin de moi, et je ne voulais pas la décevoir ; elle était là pour moi, c'était déjà bien assez.
Mes notes ont prouvé le contraire, mais j'avais toujours ce sourire, ce sourire indescriptible, aux lèvres.
Je n'ai pleuré que pour la mort de ma mère.

Ensuite, je n'ai pas fait d'efforts pour sociabiliser. Au lycée, je n'ai pas pris le temps de m'introduire, me suis mise seule. Je faisais mes devoirs, et les gens me haïssaient parce qu'ils trouvaient ça injuste que je sois si "intelligente". Or, moi, je les enviais parce qu'ils avaient des amis, et qu'ils avaient un vrai sourire.

Cependant, ce sourire me restait collé aux lèvres : je hurlais avec, pleurais avec, mais jamais je ne l'utilisais pour son premier sens, le bonheur.

Je me suis tout de même trouvée une passion qui réussissait à transmettre mes états d'âme : la photographie.  Je ne photographiait que des animaux morts, des rues inhabitées ; pourtant, quelqu'un s'est intéressé à moi. J'avais dix-huit ans, et je suis devenue photographe engagée. Je voyageait à travers le monde pour imprimer ses images de l'autre partie du monde, cette partie qui est comme le face noire de la lune : l'envers du monde. La guerre, la pauvreté, la faim, la mort, la violence, l'inégalité.

J'ai fait la rencontre d'une famille qui a su me faire revivre le bonheur : ils m'avaient hébergée, nourrie, et on avait beaucoup ri.
Seulement, un jour après, ils étaient morts. Tués par leur patrie.

Je suis alors retournée chez moi.
Une de mes amies de primaire m'a reparlé ; j'ai été étonnée. Elle m'a annoncé qu'elle voulait faire comme avant, visiter des maisons hantées. Elle s'est excusée pour la primaire, on s'est même fait un câlin, et on a rit, mais mon esprit semblait avoir trouvé une faille. Elle mentait. Je l'ai su avant, non pas qu'elle jouait mal son jeu, mais je le savais.

On est donc allées dans cette maison.

Elle était immense. La moitié était détruite, recouverte de lierre.

Je suis entrée dans une pièce, j'ai entendu un cri ; quand j'ai été voir ce qui s'était passé, je n'ai vu personne, sauf l'obscurité.

J'ai entendu des pas, et, lorsque je me suis retournée, j'ai vu une grande et longue silhouette, maigre, au teint pâle, et aux cheveux courts, presque blancs, les oreilles légèrement pointues.

Cette chose m'a mordue.

Je suis à mon tour devenue de ces créatures.

J'ai appris à vivre en tant que vampire ; bien que ce fût dur ; j'avais des envies soudaines, je ne me sentais souvent pas bien... J'ai réussi à réguler ce genre de pulsions.
Avec le temps, je me suis également créé un masque ; je savais cacher l'entièreté de mes émotions, et les gens me voyaient sourire tout le temps.

J'ai quitté cette ville, et je suis devenue nomade, dépendante de mon métier.