heart made of glass, my mind of stone ▽

Le passé a façonné Quinn sans même qu’elle ne s’en rende compte. Pendant très longtemps, la brunette n’osait pas s’approcher des enfants allant avec elle à l’école. La pauvre avait honte de ses vêtements et de son apparence en général. Ainsi, elle créa une distance, entre elle et les autres, âme solitaire qui errait ici et là, très peu capable de s’exprimer ne serait-ce que devant un petit groupe de jeunes enfants. Mais elle remarquait chaque petit détail, aussi insignifiant soit-il. Très attentive au monde qui l’entourait, Quinn ressentait aisément les émotions des autres, n’ayant pas besoin de mots, puisant dans les traits du visage d’autrui et des larmes qui coulaient … ou qui ne coulaient justement pas. Encore aujourd’hui, la jeune femme garde ces traits de caractère de jeunesse. Avec le temps, elle en développa d’autres, parfois négatives, tel l’anxiété. Elle va jusqu’à prendre de la médication pour contrer ce problème assez vorace. Ce sont les répercussions de ce qu’elle a subi avec Jeremiah, cette crainte de ce qui était arrivée à sa mère et à la lourdeur de la culpabilité. Heureusement, elle fait souvent appel à sa rationalité pour ne pas se noyer dans le passé. Elle préfère se donner cœur et âme à ses études, l’élève studieuse et débrouillarde qu’elle est éprouvant ainsi un peu de fierté. Bordel, elle s’est battue pour son futur! Oui, tout au fond, la rancune que porte Quinn la pousse à vouloir retourner dans la communauté de Jeremiah et prendre sa revanche. Mais elle n’est pas une femme violente, en temps normal, et ce genre de pensées l’étonnent toujours! Ne serait-ce pas un problème plus flagrant depuis qu’elle sait posséder des armes chez elle?

Ma famille se constitue de ma mère et moi. Mon père n’est qu’un étranger sur des photos encore accrochées sur les murs. Deux personnes dans un minuscule appartement qui ne s’adaptait pas nécessairement à nos besoins. L’argent ne tombe malheureusement pas du ciel, et les deux jobs qu’avait ma pauvre maman ne comblaient pas le trou financier dans lequel on se trouvait. À bien y repenser maintenant, nous étions des victimes parfaites, et ce, sans qu’on ne s’en rende compte. Il ne fallut que d’une rencontre, une seule. Cet homme, Jeremiah, cet être ignoble qui vint avec ses mensonges et ses faux espoirs réussit à captiver l’attention de ma mère. En manque d’amour, sans aide de la communauté aux alentours, il ne lui suffit que de promesses d’un avenir meilleur ainsi que d’un entourage présent pour que nous préparions nos valises. L’enfant naïve que j’étais à l’époque crut que le vent avait vraiment tourné, que nous nous dirigions vers un nouveau lendemain. Et à vrai dire, les premiers mois ne furent pas si mal que ça. Pour la première fois depuis longtemps, je ne me sentais pas gênée de parler aux autres enfants présents dans cette collectivité. Nous étions tous issus d’un environnement instable et nous n’avions rien à prouver ni à cacher. Je me fis des amies, je pouvais respirer plus librement, sentant que ma mère avait retrouver une paix intérieure. Le stress, la tristesse, le doute … rien de ces émotions fortes ne la noyait maintenant. C’était réellement tout ce qui comptait à mes yeux.

Le temps apporta néanmoins son lot de problèmes. Du haut de mes 11 ans, je commençais à remarquer que Jeremiah devenait plus agressif à certains moments. C’était spontanée, rapide, mais au combien effrayant. Je crus également voir quelques filles de mon âge entrer chez lui et n’en sortir qu’en plein milieu de la nuit. Je m’inquiétais, j’en parlais à ma mère, mais elle me rassura, répétant toujours les paroles de leur sauveur. D’après elle, il sacrifiait de son temps pour les autres, les invitait à venir avouer leurs torts et à les guider vers la bonne voie. J’essayais de ne pas trop m’en faire, mais l’appréhension ne me quitta pas. Je n’obtins des réponses qu’un an plus tard, à l’aube de mes 12 ans. Je fus appelée à mon tour et ma première réaction fut de refuser catégoriquement. Mais c’est que nous étions dans une communauté où il n’y avait pas vraiment ce « choix ». Chacun devait faire sa part, et quand Jeremiah demandait à nous voir, pas le choix que d’obéir. On me traînait presque de force jusque chez lui, et une fois arrivée, je compris l’horreur qui se déroulait derrière ces murs. Ses gestes, ses mains sur mon corps, c’était … dégoûtant. Cela m’enrageait complètement, et mon premier instinct fut de me défendre. Je partis en courant chez moi, pleurant, suppliant ma mère de ne pas me forcer à retourner le voir. Elle eut pitié pour moi, me voyant si affolée. Elle fit l’ultime sacrifice, celui de me sortir de cet endroit. La pauvre contacta sa sœur, une tante que je ne connaissais que de nom. Par une nuit d’automne, on réussit à se cacher des gardes faisant leur ronde habituelle. De brefs au revoir, certes, mais au combien déchirant! Je ne voulais pas laisser ma mère là sans protection, effrayée de ce que lui ferait subir Jeremiah. Malheureusement, je ne voulais pas vivre dans un endroit pareil. Voilà pourquoi je choisis de suivre ma tante jusqu’en Alabama.

C’est grâce à ce tournant que je pus vivre plus calmement. Enfin, aussi calmement que possible pour une jeune adolescente. J’eus mes folies passagères, mes fréquentations moins que tolérables et mes réussites mémorables. Dans tout ce chahut-bahut, je compris pourquoi ma mère s’était éloignée de ma tante. Celle-ci avait accordé plus d’importance à l’histoire de notre famille et de nos ancêtres. Chasseurs de créatures surnaturelles, de génération en génération, ma mère avait refusé de s’y joindre, partant avec moi, laissant derrière sa propre sœur, des cousins, des cousines et bien entendu, son mari, mon père. On s’attendait à ce que je prenne le relais, à ce que je suive dans leurs pas. Mais je priorisais plutôt les études, décidant de m’éloigner à mon tour. Je pris pour ville d’accueil la Nouvelle-Orléans, car l’université offrait des études en anthropologie. Je ne pus quitter le nid familial sans que l’on me force à traîner avec moi quelques armes, mais je les rangeais rapidement, encore confuse quant à cette part de moi, cette part des Hambleton que je n’aurais sincèrement jamais soupçonnée.